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PHILIPPE DURAND - Centre photographique Le Bleu du ciel, Lyon


  • Le Bleu du Ciel 12 Rue des Fantasques Lyon, Auvergne-Rhône-Alpes, 69001 France (map)

Ménilmontant


Quand on prononce « Ménilmontant », il remonte de la mémoire des souvenirs du vieux Paris, de ce quartier qui faisait partie de Belleville, nouvellement arrimé au XXème arrondissement qui surplombe la capitale. Il faut monter à « ce » Ménilmontant qu’a chanté Trenet et où est né Maurice Chevalier, avec ces airs de canotier qui traversent les rues animées avec leurs guinguettes, où la classe ouvrière au début du dix-huitième siècle créchait, avant que la gentrification ne les repousse dans les banlieues.
Quartier légendaire qui s’associa aussi aux tristes jours de la commune, dont quelques bribes de murs attestent. « Mais que reste-t-il de nos amours » dit la chanson, à ce croisement bien que non empreint de nostalgie, Philippe Durand a commencé ses promenades, et dans la suite de ses travaux urbains sur les automobiles, les vitrines ou les affichages publicitaires, il s’est attaché une nouvelle fois à dénicher et décrypter les reflets de la rue. Mais cette fois, il l’a fait au moyen de doubles expositions, deux photos sur la même surface, la seconde recouvrant la première, comme s’il voyait au travers de la réalité saisie dans l’instant présent, mais ne pouvait se suffire à faire œuvre visuelle, avec une seule prise de vue, chaque image vue isolément ne pouvant le satisfaire et recherchant son double.
Le résultat est étonnant, de par sa teneur et ses couleurs passées, à la limite passéistes, du fait de la lumière sous exposée dans chacune des deux images, puis juxtaposées et réajustées dans l’œil de l’artiste, enfin superposées et mélangées entre elles.
Le protocole permet alors de retrouver l’équilibre colorimétrique et l’exposition adéquate qui pourra ensuite être exposée pour de bon.
Le wanderer parisien qu’est Durand recrée une unité, à la fois factice car issue de temporalités différentes mais parfois proches ou éloignées, selon la parenté qu’il ressent envers les images uniques, réunies dans un hermaphrodisme photographique. La photographie finale nous entraine, souvent à son corpus défendant, vers une forme de vision surannée qui sied si bien à Ménilmontant.

Et cet ensemble solide, bien qu’éphémère, comme le sont les hallucinations trop promptes, sans exclure la modernité de son positionnement, le situe comme acteur de cette immersion dans un monde de couleurs et de transparences, qui oblige le spectateur à s’interroger sur ce qu’il aborde, puis voit avant de s’abandonner à cette dérive, presque délicieuse, du regard.
Ses images aux allures et cadrages soignées d’une esthétique implacable, d’un abord difficile et évident en même temps, renvoient parfois à une imagerie exotique, parfois à des accents surréalistes de paysages psychédéliques ou hypnotiques, ou à certaines toiles de Pollock, qui forcent à accommoder la vision. Se reprendre et s’abandonner…

Le végétal et particulièrement les fleurs se marient aux verres qu’elles traversent, aux phares des carrosseries qui l’attirent car producteurs de faisceaux éteints pendant le jour, et troublent les perspectives et les différents plans d’interférences entre eux. Ces vitrines, ces matières qui fleurent bon des parfums distanciés avec presque la sensation d’un toucher d’étoffes déroulées sur une toile plane, tous ces espaces aventurés dans la transparence rassemblée, nous rassasient et nous ramènent au mystère de la réalité re-présentée à nos yeux.
Ce qui fait dire à Baudelaire dans « Le peintre de la vie moderne » qui synthétise parfaitement l’approche de Durant, savamment extrait par Ingrid Luquet-Gad, qu’il s’agit bien d’un kaléidoscope doué de conscience ; j’ajouterai : « d’ordre et de volupté ».

Gilles Verneret